
Dans la majestueuse cité portuaire de Liavek, Kaloo l’orpheline se cherche un passé. L’enjeu est grand : seuls ceux qui connaissent leur date de naissance peuvent recevoir un peu de chance chaque année, et avoir leur place pleine et entière dans la société.
Commence pour elle une quête initiatique qui l’emmènera sur des sentiers dangereux.
Certains mystères devraient rester dans l’ombre…
Liavek est un univers partagé qui compte près d’une soixantaine de textes courts, essentiellement écrits entre 1985 et 1990 par des auteurs de renom tels que Gene Wolfe, Megan Lindholm, Nancy Kress ou encore Alan Moore (L’hypothèse du Lézard dont je vous parlais récemment). Il s’agit d’une ville portuaire plutôt florissante où règne une magie étrange nommée la chance et liée à la date et l’heure de naissance des individus. Certains deviennent mages et décident de capitaliser sur leur chance en l’enfermant dans divers objets leur permettant de l’utiliser à volonté.
Les Éditions ActuSF, que je remercie pour le service presse, ont décidé de rééditer un recueil sobrement intitulé Liavek se situant dans cet univers et qui compile six nouvelles tournant autour du même personnage, Kaloo, dans la collection Perles d’épice. À l’origine, ces textes ont été publiés dans des recueils différents, mais rassemblés par la maison d’édition française qui en fait ainsi une sorte de fix-up.
Ces nouvelles ont été écrites par Megan Lindholm (plus connue sous son autre pseudonyme Robin Hobb), Steven Brust et Gregory Frost. Parfois en solo, parfois à 4 ou 6 mains.
Megan Lindholm est celle qui a créé le personnage de Kaloo, et elle a participé à 4 des 6 nouvelles de l’ouvrage. Ce sont ses 4 contributions, en tout et pour tout, à l’univers de Liavek. Steven Brust introduit quant à lui le personnage de Dashif, avec lequel Kaloo va être amenée à interagir. On peut donc qualifier cet ouvrage de sorte d’intégrale Megan Lindholm autour de Liavek, avec le rajout de deux nouvelles écrites par Steven Brust en solo permettant de mieux lier l’ensemble et de former une histoire cohérente !
J’aimerais au passage en profiter pour saluer le travail des Éditions ActuSF qui nous font un peu mieux connaître l’univers partagé de Liavek mais aussi les oeuvres de Megan Lindholm, qui a produit pas mal de romans et autres nouvelles avant de se lancer dans l’écriture de L’Assassin royal. Je pense au Dieu dans l’Ombre, que j’ai adoré et qui est désormais disponible en poche, à Alien Earth que je n’ai pas encore lu et au présent ouvrage.
J’aimerais aussi en profiter pour clarifier l’histoire des pseudonymes de l’autrice. En effet, en introduction à l’ouvrage il est écrit que Megan Lindholm est le vrai nom de Robin Hobb, qui n’écrivait à l’époque pas sous pseudonyme.
Or, c’est une erreur. Le nom de l’autrice est Margaret Astrid Lindholm Ogden. Megan Lindholm était son premier pseudonyme et elle en changé pour L’Assassin royal, ses nombreuses suites (d’ailleurs, si vous avez du mal à vous en sortir avec la chronologie de ces cycles, y’a un peu d’aide ici) puis Le Soldat Chamane, préférant adopter un pseudonyme androgyne.
Cette lecture me permet de valider une nouvelle participation pour le challenge S4F3 de chez Lutin (Albédo) et celui du Projet Maki initié par Yogo !
Qu’est-ce que ça raconte ?
Kaloo est une jeune orpheline recueillie par T’Nar et adoptée alors qu’elle n’était qu’un bébé par Daril, tenancière de la taverne de bonne réputation La Chope et l’Ancre. Daril y sert un des meilleurs ragoûts de la ville, mène une vie simple loin de la magie et espère que Kaloo lui succédera à la tête du commerce. Sauf que Kaloo, qui ne connaît ni sa date ni son heure de naissance, rêve de trouver réponse à ce mystère afin de pouvoir utiliser sa chance…
De son côté, le comte Dashif est malchanceux. Impossible pour lui d’utiliser sa magie, l’objet dans lequel il la stockait ayant été détruit dans des conditions particulières par quelqu’un qui lui en voulait beaucoup. Néanmoins, pas grand monde n’est au courant et son intelligence lui permet de travailler au service de l’Éminence Écarlate, Régent de Liavek, en tant qu’homme de l’ombre. Aussi craint que respecté, Dashif ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit de remplir une tâche qui lui a été confiée, aidé de ses deux pistolets (parce que oui, quand on veut s’en prendre à un mage capable d’attaquer à distance, c’est mieux de pouvoir l’abattre de loin et si possible dans le dos).
La première nouvelle, Un acte de contrition, par Steven Brust, nous présente le compte Dashif alors qu’il est chargé par le Régent d’éliminer le Clergé d’Or, un culte quasiment éradiqué qui serait sur le point de refaire surface. Bien entendu, ils doivent périr de manière à ce que nul ne puisse remonter jusqu’à l’Éminence Écarlate. C’est un récit qui permet de faire connaissance avec Dashif, sa réputation et ses méthodes plutôt douteuses.
Avec la seconde nouvelle, Hasard de naissance, par Megan Lindholm, nous faisons la connaissance de la jeune Kaloo. Elle a environ 13 ans et commence à se poser des questions sur sa date de naissance. Plus intéressée par la chance que par les garçons, sa route va par hasard croiser celle d’un sorcier, L’Ferrti, dont elle espère qu’il lui donnera l’occasion d’apprendre la magie.
Je ne vais pas vous en révéler davantage sur les nouvelles suivantes car ce serait du divulgâchage en règle, mais sachez que l’on va en apprendre un peu plus sur Kaloo, ses origines ainsi que le fonctionnement de l’étrange magie de cet univers.
J’en ai pensé quoi ?
Eh bien eh bien eh bien.
Tout d’abord, c’est un ouvrage qui se lit vraiment très rapidement et très facilement, un vrai page turner. Les personnages sont plutôt attachants, leurs décisions pas forcément prévisibles et j’ai apprécié de suivre les aventures de Kaloo, du compte Dashif et de ceux qui les entourent. Certains sont plutôt caricaturaux et assez peu exploités (L’Ferrti), mais d’autres bénéficient par moments d’une profondeur insoupçonnée. La fortune du pot, troisième récit du recueil, donne ainsi un peu plus de matière à Daril et T’Nar.
Ensuite, il faut noter que ce n’est pas manichéen. Ici, nul grand vil méchant, mais des personnages dont les intérêts se télescopent et ne vont pas toujours dans la même direction. Il y a une dimension politique assez légère mais indubitable et pas trop mal traitée, avec des jeux d’allégeances, de pouvoir et de manipulation.
Il y a aussi une dimension plus intimiste, puisque le fond de l’histoire est bien centré autour de Kaloo, de sa découverte d’elle-même et nous montre les étapes clefs de son développement ainsi que l’évolution de ceux qui l’entourent. L’humain avant tout, comme toujours avec Megan Lindholm. On y trouve également une réflexion émouvante et intéressante sur la parenté ainsi que sur les différences sociales. Un acte de miséricorde, par Steven Brust et Megan Lindholm, est particulièrement cruel de ce point de vue là.
Mon impression est donc globalement positive.
Mais il y a deux mais. Tout d’abord, j’ai trouvé le fonctionnement de la magie relativement peu clair dans ce recueil/fix-up. Bien entendu, c’est normal qu’il y ait des « trous » au niveau de l’univers de Liavek, vu qu’il ne s’agit que d’une partie des nouvelles y prenant place, et pas les nouvelles introductives. La première de l’ouvrage présent est en fait la cinquième de l’univers et la dernière, la quarante sixième. Les auteurs qui les ont écrites sont donc partis du principe que l’on savait déjà un certain nombre de choses et se sont focalisés sur d’autres, soit. Un très petit « mais » qui ne m’a pas gênée durant la lecture mais plutôt à posteriori, quand j’ai essayé de tout rassembler dans ma tête.
Le deuxième mais est un peu plus dérangeant : j’ai en effet trouvé la qualité des textes assez inégale. Très globalement ça reste immersif et ça se lit bien, cependant pour moi certaines transitions entre les textes et les styles sont un peu bancales. Je l’ai particulièrement ressenti durant la dernière nouvelle, la plus importante du récit, Un acte d’amour, écrite à 6 mains, la seule à l’écriture de laquelle Gregory Frost a participé. C’est dommage car c’est celle qui clôture ce livre et qui met en scène le plus d’enjeux narratifs. C’est aussi, de loin, la plus longue (88 pages). La fin reste bonne, mais j’ai trouvé l’action assez brouillonne par moments, de même que les déplacements ou les motivations de certains personnages secondaires. En gros, un développement plus approfondi histoire de prendre son temps et d’éclaircir tout ça n’aurait pas été de trop, loin de là.
Pour conclure ?
Ma lecture de Liavek par Megan Lindholm, Steven Brust & Gregory Frost a donc été assez prenante et rapide, globalement enthousiaste malgré certains défauts. Ce n’est pas la découverte de l’année mais elle comporte suffisamment de matière pour être agréable, intéressante par l’aspect psychologique de certains personnages et émouvante dans sa conclusion.
Liavek, Megan Lindholm, Steven Brust & Gregory Frost, Éditions ActuSF, 281p., 19,90€, ISBN : 978-2-37686-306-9
Traduction par Jacqueline Callier
Illustration de couverture par Zariel
Retrouvez d’autres avis chez Aelinel, Célindanaé, Boudicca, Blackwolf, Vert, vous ?
Cette chronique fait partie du challenge S4F3
Elle fait aussi partie du challenge Projet Maki
Je ne savais pas du tout qu’il y avait d’autres textes dans cet univers 🙂
En tout cas ça me fait considérer ce recueil avec plus d’intérêt que j’en avais pour l’instant (il n’était même pas dans ma wish).
J’aimeAimé par 1 personne
À part L’hypothèse du lézard les autres ne sont dispo qu’en VO ! ActuSF est pour le moment la seule maison d’édition à essayer de faire connaître cet univers partagé en France.
Donc perso même si c’est inégal je trouve le concept vraiment cool surtout avec des persos qui peuvent être revus d’une histoire à l’autre etc…
Apparemment certains qui sont juste « croisés » ou « mentionnés » ici ont leur quart d’heure de gloire ailleurs par ex.
J’aimeAimé par 1 personne
En tout cas le livre objet à l’air juste incroyable.
Je pense que par contre qu’il est destiné à des plus initiés que moi du genre.
Merci pour cette chronique complète.
Bonne soirée
J’aimeAimé par 1 personne
Oh pas forcément destiné à des plus initiés, parce que pour le coup c’est un vrai page turner, il se lit hyper facilement et reste assez classique par bien des aspects. Ça ne rentre pas dans des trucs complexes comme du Gene Wolfe ou du Ada Palmer.
Je le qualifierais justement plutôt de porte d’entrée en fait.
Comme un peu tout ce qu’écrit Megan Lindholm/Robin Hobb, qui est surtout centrée sur la psychologie et l’évolution des personnages ainsi que les émotions.
J’aimeJ’aime
Un peu le même avis que toi, je me souviens avoir été partagée à la lecture. C’est dommage qu’on ait pas grand chose de cet univers partagé en France !
J’aimeAimé par 1 personne
On est bien d’accord 😮
J’aimeJ’aime
Ce fut pareil de mon côté : sympathique, facile à lire, mais rien d’extraordinaire. Ça donne quand même envie d’en lire plus dans cet univers, en espérant une qualité supérieure. Pas sûr que ça arrive un jour néanmoins.
J’aimeAimé par 1 personne