Retour au pays – Robin Hobb

Retour au pays

«Ce que l’esprit conscient ne perçoit pas, le cœur le sait déjà. Dans un rêve. j’ai traversé comme le vent ce désert des Pluies, en rasant le sol mou, passant au travers des ramures qui se balançaient. Insoucieuse de la fange et de l’eau corrosive, j’ai pu voir soudain la beauté aux multiples strates des alentours. Je me tenais en équilibre, oscillant, comme un oiseau, sur une fronde de fougères. Un esprit du désert des Pluies m’a murmuré : « Essaie de le dominer et il t’engloutira. Incorpore-toi à lui, et tu vivras. »»

Retour au Pays : Prélude à L’Assassin royal et aux Aventuriers de la mer est une novella de 120 pages écrite par la célèbre Robin Hobb et publiée pour la première fois en VO en 2004. Elle a bénéficié de plusieurs éditions en français et est trouvable un peu partout pour une somme modique. Comme son nom l’indique, l’action se déroule bien avant les deux cycles mentionnés.

Je fais d’une pierre deux coups une fois encore avec cette lecture qui rentre dans le cadre du challenge S4F3 de chez Lutin (Albédo) et celui du Projet Maki initié par Yogo !

Contexte ?

Pour celles et ceux qui n’ont jamais lu aucun de ces cycles, un peu de chronologie :

  1. Retour au pays (novella – publication VO 2004)
  2. Le Prince bâtard (novella – publication VO 2013)
  3. L’Assassin royal : premier cycle (VO : 3 tomes – publication 1995 – 1997)
  4. Les Aventuriers de la mer (VO : 3 tomes – publication 1998 – 2000)
  5. L’Assassin royal : deuxième cycle (VO : 3 tomes – publication 2001-2003)
  6. Les Cités des Anciens (VO : 4 tomes – publication 2009 – 2013)
  7. L’Assassin royal : troisième cycle (VO : 3 tomes – publication  2014 – 2017)

Pourquoi est-ce que je précise le nombre de tomes parus en VO ? Parce qu’en France les tomes ont été découpés différemment lors de leur première publication, taille des ouvrages et coût de traduction obligent, puis republiés par la suite sous forme d’intégrales.

J’ai lu et adoré les deux premiers cycles de L’Assassin royal et leur ai encore préféré Les Aventuriers de la mer, par contre j’ai lâché en cours de route Les Cités des Anciens. Ça commençait super bien, avec de beaux personnages comme sait en créer Robin Hobb mais j’ai abandonné après le tome 4 de la première édition française, La Décrue, qui marque un gros point de rupture dans le cycle et un changement de paradygme. Le fait de devoir attendre entre chaque volume et la fin d’un arc narratif sont sans doute la cause de mon abandon. Peut-être que je reprendrai un jour ?

Les deux novellas Retour au pays et Le Prince bâtard, ayant été écrites bien après les premiers cycles, peuvent se lire indépendamment. Les Aventuriers de la mer peut se lire également de façon indépendante, et on comprendra tout à fait le deuxième cycle de L’Assassin royal sans avoir lu Les Aventuriers de la mer. C’est ce que j’avais fait à l’époque. Par contre, on peut passer à côté de certaines références puisqu’il y a des personnages en commun et que l’histoire des uns a des répercussions sur les autres.

Retour au pays a été publié entre le deuxième cycle de L’Assassin royal et celui des Cités des Anciens. Il est pour moi très intimement lié à ce dernier par le parcours de sa protagoniste, les lieux explorés et les thèmes évoqués.

Ça parle de quoi ?

Dame Carillon de Rochecarre, née Valjine, est une dame de la haute noblesse de Jamaillia habituée au plus grand confort. En plus d’être mère de deux garçons et d’une fille, d’être enceinte pour la quatrième fois, elle est également une ingénieuse artiste sculptrice de renom.

Seulement voilà, pour des raisons qui la dépassent, elle se retrouve embarquée par son mari  -les trois enfants et la servante sous le bras- dans une expédition décidée par le Gouverneur Esclépius qui vise à la création de colonies sur les Rivages Maudits et, plus loin encore, dans le mystérieux Désert des Pluies : fleuve aux eaux corrosives qui serpente au cœur d’une jungle marécageuse luxuriante et inexplorée.

En effet, de vieilles légendes parlent de cités pleines de trésors qui auraient bordé le fleuve il y a fort longtemps… Et qui dit trésor dit argent, cupidité, pouvoir, tout ça tout ça.

Nous allons donc suivre le parcours de Carillon via le journal intime qu’elle tient durant la durée de l’expédition.

Carillon me rappelle par bien des aspects Alise Kincarron, l’une des protagonistes des Cités des Anciens qui se retrouvera longtemps plus tard elle aussi embarquée dans une expédition au cœur du Désert des Pluies, bien que de son plein gré et remontant le fleuve beaucoup beaucoup (beaucoup) plus en amont.

Toutes deux sont des femmes fières de leurs activités que les hommes méprisent et considèrent comme des marottes inutiles (l’art pour l’une, l’étude des dragons pour l’autre). Toutes deux sont injustement soumises aux décisions arbitraires d’époux prompts au mensonge. Et toutes deux ont de la ressource, une grande aptitude à faire face aux difficultés présentes et à renoncer aux apparences afin de survivre.

On retrouve dans Retour au pays certains des thèmes qui parsèment l’oeuvre de l’autrice :

  • le sentiment d’injustice et de trahison hurlant, criant et déchirant de personnes qui n’ont pas leur mot à dire quant à leur destin, qui sont méprisées du fait de leur genre, de leur apparence ou de leur condition sociale
  • le retour à la nature, à une vie en harmonie avec l’environnement
  • l’affirmation de soi par l’action réelle pour la survie et l’abandon d’un carcan social oppressant qui ne permettait pas aux individus de révéler leur valeur

J’ai également pensé très fort à plusieurs reprises durant ma lecture -bien que cela ne se situe pas dans le même univers- à l’excellent Dieu dans l’ombre de la même autrice (que j’ai chroniqué l’été dernier, disponible depuis le 3 juillet 2020 en poche dans la collection Hélios aux éditions ActuSF). Dans l’oeuvre de Robin Hobb (ou de son alias Megan Lindholm), les femmes se retrouvent en effet souvent mariées à des lâches, des traîtres pas du tout à la hauteur quant il s’agit d’affronter les gros coups durs de l’existence. C’est face à ces trahisons souvent déchirantes qu’elles s’émancipent et prennent le taureau par les cornes.

Non point que les hommes dans leur ensemble soient diabolisés par l’autrice, mais il y a cette idée qu’un homme épousé à la ville pour des raisons qui semblaient bonnes à ce moment-là (hiérarchie, apparence physique, coup de foudre) se révélera souvent être au mieux un incapable, au pire un gros con, et en tout cas tout sauf un soutien pour sa famille une fois sorti de son contexte social habituel. Comme si la nature dans ce qu’elle a de plus beau et dangereux ainsi que les épreuves traversées révélaient la vraie valeur des gens, et permettaient parfois de véritables rencontres, amicales ou amoureuses, qui auraient été inenvisageables dans la « bonne » société.

Verdict ?

Sans grande surprise, j’ai bien aimé cette novella et je n’ai pas pu la lâcher une fois plongée dedans. Les thèmes traités par l’autrice le sont avec justesse et me parlent beaucoup. L’histoire est globalement positive, donne envie d’un ailleurs plus juste et de quelque chose de constructif. Ses personnages sont très crédibles, toujours nuancés, et j’ai eu envie de hurler avec Carillon à plusieurs reprises !

Et puis, les cités mystérieuses abandonnées depuis des lustres, les jungles inhospitalières, les lieux inexplorés, les légendes et les manifestations magiques auxquelles nul ne comprend grand chose, c’est toujours assez fascinant pour moi quand c’est bien traité.

Un petit bémol vis-à-vis du mode de narration choisi : le journal intime, qui fonctionne très bien sauf à un moment précis où il m’a semblé peu crédible que Carillon prenne le temps d’écrire. Il aurait été plus judicieux de la faire écrire « après », plutôt que « pendant » le déroulement de cet événement.

Retour au pays : Prélude à L’Assassin royal et aux Aventuriers de la mer, Robin Hobb
Traduction par Véronique David-Marescot
Illustration de couverture par Vincent Madras

 

Cette chronique fait partie du challenge S4F3

S4F3

Elle fait aussi partie du challenge Projet Maki

Projet Maki

6 commentaires sur “Retour au pays – Robin Hobb

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  1. « taille des ouvrages et coût de traduction obligent » : *Pygmalion oblige. =P
    Je n’y avais pas pensé, mais cette novella pourrait être une bonne idée pour retourner dans l’univers et voir si ça me motive à lire « Les Aventuriers de la mer » et « Les Cités des anciens » pour pouvoir finir la troisième trilogie de « L’Assassin Royal » – mais ça fait quand je beaucoup à lire. ^^’

    Aimé par 1 personne

    1. Perso Les Aventuriers de la mer c’est ma saga préférée de l’autrice. C’est du roman polyphonique avec des sacrés personnages féminins (et des persos masculins chouettes), des évolutions de ouf et tout et tout.
      Plus de 10 ans après ma lecture j’ai encore des frissons en repensant à certains passages.
      Mais oui Retour au pays se trouve en neuf pour 4€, c’est vite lu, sympa et ça peut (re)mettre un pied dans l’univers.

      J’aime

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