Poumon Vert – Ian R. MacLeod

Poumon vert

LORS DE SA DOUZIÈME ANNÉE standard, pendant la saison des Pluies Douces habarienne, Jalila quitte les hautes plaines de Tabuthal. Un voyage sans retour — le premier. Elle et ses trois mères s’installent à Al Janb, une ville côtière bien différente des terres hautes qui ont vu grandir la jeune fille. Jalila doute du bien-fondé de son déménagement. Ici, tout est étrange. Il y a d’abord ces vaisseaux, qui percent le ciel tels des missiles. Et puis ces créatures d’outre-monde inquiétantes, qu’on rencontre parfois dans les rues bondées. Et enfin, surtout, la plus étrange des choses étranges, cet homme croisé par le plus pur des hasards — oui, un… mâle. Une révélation qui ne signifie qu’une chose : Jalila va devoir grandir, et vite ; jusqu’à percer à jour le plus extraordinaire secret des Dix Mille et Un Mondes…

Ian R. MacLeod est un auteur britannique que je ne connaissais absolument pas et dont je découvre la plume avec cette novella, au nom singulier de Poumon Vert, parue en 2017 dans la collection Une Heure-Lumière aux éditions du Bélial’.

Je l’ai lue vers fin avril, durant la période du confinement, et cette novella toute en mélancolie et en douceur m’a laissé un assez vif souvenir pour que j’ai réellement envie de vous en parler.

L’univers

Poumon Vert se déroule loin dans le futur et dans l’espace, sur la planète Habara qui abrite une société d’inspiration orientale, que l’être humain habite depuis relativement peu de temps et qui n’a pas encore été intégralement explorée. Les humains ont atteint un stade où ils peuvent « s’équiper » -on ne saura pas trop comment- de matières organiques leur permettant de survivre dans certaines conditions extrêmes, comme le fameux poumon vert qui donne son titre à la novella, sorte de mousse qui s’enracine dans les poumons et permet de respirer dans des atmosphères raréfiées.

La société sur Habara (et dans l’univers) se compose quasi intégralement de femmes : il n’y a presque plus d’hommes et le peu d’entre eux fait office de curiosité locale tout juste tolérée. Les enfants ne sont plus conçus, à part cas extrêmement rares, par l’union d’un homme et d’une femme, et le polyamour est quelque chose de fréquent.

Quelques mots également sur la place de l’homosexualité qui est ici traitée de façon originale, puisqu’elle est la norme dans cet univers quasiment exclusivement féminin où toute attirance envers un homme est jugée comme étant un peu bizarre. Ce miroir inversé de notre propre société est vraiment intéressant.

L’intrigue

On découvre une petite partie de la planète Habara de façon un peu abrupte à travers les yeux de Jalila (bien que la narration soit à la troisième personne), élevée par ses trois mères dans les plaines montagnardes de Tabuthal, couvertes de givres et d’arbres de cristal (j’ai envie d’y aller, là, tout de suite, rien que d’en parler).

Un peu abrupte car l’auteur ne nous prend pas vraiment par la main pour nous expliquer de quoi il en retourne, et il faudra au lecteur comprendre par lui-même les éléments de cet univers que Jalila tient pour acquis.

Elle a 12 ans et va déménager en compagnie de sa famille vers la petite ville côtière d’Al Janb, une ville pleine d’inconnus, immense à ses yeux puis qui, petit à petit, lui deviendra familière et qu’elle ne percevra plus comme si grande que ça, au fil des saisons qui constituent le récit.

Durant ces quelques saisons de rencontres et découvertes (l’amour, l’amitié, l’affirmation de soi), les vies de Jalila et des personnes qui l’entourent vont être radicalement bouleversées, non pas par un événement spécifique ou dramatique, mais par l’accumulation de petits changements en apparence anodins qui mèneront à un final poignant. Un peu comme dans la vraie vie, où souvent ce ne sont pas des cataclysmes mais une infinité de détails qui nous orientent vers telle ou telle direction.

Cette novella à la douceur mélancolique parle du changement inexorable des gens, des sociétés, des lieux, de la nature, mais aussi des deuils qu’il est parfois nécessaire de traverser pour avancer et suivre une route que l’on choisit.

« Les hautes plaines de Tabuthal baignaient dans une atmosphère raréfiée – Jalila le savait grâce aux cours dispensés par sa tentexplo ; on était si près des étoiles, là-haut, que Pavo avait dû lui presser un masque sur le visage dès sa naissance en attendant que le poumon vert s’enracinât. L’air était pur, le froid agréable, et le soleil brillait toute la journée, dur et glacé, blanc sur fond bleu noir, comme le milliard d’étoiles nocturnes. Jamais pourtant Jalila n’avait pensé à ce genre de choses en gambadant entre les arbres de cristal, même si ses mères souriantes la prévenaient parfois qu’un jour, tout changerait. »

Je ne vous parlerai pas plus de l’aspect légèrement hard-SF d’une partie de l’intrigue ni des personnages secondaires afin d’éviter de vous spoiler, mais sachez que ce sont des éléments intéressants et très importants de l’histoire.

Mon avis

Je suis rentrée quasi immédiatement dans ce récit singulier à la poésie douce malgré l’étrangeté de l’univers, et j’ai été très émue et touchée par le regard que Jalila porte sur ce et celles et ceux qui l’entourent. Par l’observation de comment, petit à petit, sa vision des choses évolue. Et comment le fait que sa vision des choses évolue fasse parfois réellement évoluer les choses.

On la voit changer à travers le regard qu’elle porte sur sa famille, son lieu de naissance, cette ville, ses amis, ses amours, sa planète, et pour moi cela constitue l’énorme point fort et original du récit. L’interaction entre soi-même et le monde, et entre le monde et soi-même, ce dialogue constant, cette évolution qui fait de nous des êtres vivants et en mouvement.

Ici, pas de méchant à combattre, pas de terrifiante problématique à résoudre, juste la vie, et l’infinité de détails qui mènent à effectuer certains choix parfois radicaux. Comment ces choix impactent nécessairement, positivement ou négativement, ceux qui nous entourent. Comment le fait de choisir une direction, une porte, en ferme irrémédiablement d’autres, et à côté de quoi on peut passer pour poursuivre le destin que l’on choisit (ou qui nous a choisi). En ce texte résident quelques fragments de la beauté et de la tristesse de la vie.

Cette novella conviendra sans doute à des lecteurs ouverts à une certaine forme d’introspection contemplative. Elle est reposante tout en tapant dans des endroits qui peuvent faire mal suivant votre état d’esprit du moment, et comporte un aspect purement SF vraiment intéressant. En tout cas, elle fait clairement partie de mes UHL favoris.

Poumon Vert, Ian R. MacLeod, Éditions Le Bélial’, 144p., 9,90€, ISBN : 978-2-84344-918-5
Traduction par Michelle Charrier
Illustration par Aurélien Police

Retrouvez d’autres avis chez Apophis, L’ours inculte, Le chien critique, Boudicca, Blackwolf, Nevertwhere, Lorhkan, L’épaule d’Orion, Célindanaé, Audrey Pleynet, Le Chroniqueur, Nebal, Baroona, Elessar, Yuyine, Magali Lefebvre, Snow, Maëlle, vous ?

 

Cette lecture fait partie du challenge Projet Maki initié par Yogo !

Projet Maki

12 commentaires sur “Poumon Vert – Ian R. MacLeod

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    1. Oh super ! J’espère qu’il te plaira et te touchera autant qu’il m’a touchée, mais je crois que c’est le genre de texte qui peut te convenir 😊 hâte de savoir ce que tu en auras pensé.

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  1. Elle avait beaucoup pour me plaire, ce que ta chronique confirme… mais je ne suis jamais rentré dedans, à ma plus grande tristesse. C’est clair que le lecteur n’est pas pris par la main. Habituellement ça ne me gêne pas particulièrement, mais cette fois-ci ça n’a pas voulu. Mais je ne désespère pas : vu sa longueur, je pense que je retenterai ma chance dans quelques années. ^^

    Aimé par 1 personne

    1. J’ai l’impression qu’avec Poumon Vert ça passe ou ça casse. Le genre de nouvelles où y’a des bons ou mauvais moments pour s’y atteler aussi ! J’espère qu’un jour elle te plaira 😊

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  2. Très belle chronique pour un très beau livre 🙂 J’ai dû m’acharner pour ma part pour « capter » cet univers car au début on ne comprend vraiment rien. J’ai même regardé à la fin s’il n’y avait pas un glossaire des termes un peu chelous employés XD Nope quand l’auteur il veut pas te tendre la main, c’est qu’il veut que tu te débrouilles. Je me suis acharnée car j’aime beaucoup ce genre d’ambiance. J’ai bien fait : j’ai beaucoup aimé.

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  3. Beaucoup aimé cette novella également. La nouvelle de l’auteur qui était dans le hors-série 2019 était superbe également. Depuis je tourne autour des romans de l’auteur sans oser me lancer ^^

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    1. Je ne me suis pas encore lancée dans la lecture de cette nouvelle même si j’ai le hors série 😅(D’ailleurs ni lu le 2018 ni le 2019… peut-être cet automne pour le projet Maki !)
      T’as entendu des échos sur ses romans ?

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      1. Quelques uns qui étaient plus élogieux. Ce qui me fait hésiter c’est que c’est radicalement différent de cet univers-là (dans mes souvenirs y’a une uchronie et un roman plutôt steampunk)

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      2. Ah oui effectivement. Après, peut-être que c’est le genre d’auteur à être inventif et qui réussit à immerger son lectorat peu importe le genre auquel il touche !

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