Un futur sans abeilles, étouffé dans la grisaille de gigantesques latifundia. Un futur où l’humanité se meurt, privée de descendance.
Albert, journalier agricole, répand le pollen à la main. Manon, sa compagne engagée à l’usine, sombre peu à peu dans la folie. Et dans la morosité du quotidien, une lueur, Apolline sous les cerisiers… les dernières fleurs avant la fin du monde.
Dernières fleurs avant la fin du monde est un roman court de Nicolas Cartelet paru en 2018 chez Mü éditions et ayant été nommé au GPI 2019.
Dans le futur proche dépeint par l’auteur, les personnages ont connu notre monde, et vivent maintenant dans l’après. Dans, sans doute, l’un des pires futurs possibles. Un après effondrement où il n’y a plus d’abeilles, plus d’essence, presque plus d’électricité, et donc plus grand chose à manger. Un après dans lequel Albert, journalier, travaille toute la journée pour polliniser des vergers de cerisiers (monoculture quand tu nous tiens), fleur après fleur, arbre après arbre. Et tout ça pour obtenir quelques patates qu’il pourra faire cuire le soir chez lui, durant les quelques minutes d’électricité accordées à sa cité-dortoir, avant le retour de son épouse Manon, qui vit encore bien pire dans l’usine où elle travaille. Le tout sans aucun espoir que rien n’aille mieux, jamais, jamais, jamais.
Ça pourrait même aller pire, parce que les champs de pommes de terre, dans les plantations Sud, seraient ravagés par le mildiou (monoculture le retour). La peur s’installe : est-ce que les journaliers du Sud, privés de travail, vont venir grossir les rangs, engendrant une baisse du nombre de patates reçues chaque jour ? Bien entendu, les pauvres tapent sur plus pauvres qu’eux, parce que c’est plus facile que de s’en prendre aux puissants (ah non, ça c’est le présent).
Ça donne envie, n’est-ce pas ?
C’est également un après dans lequel même les plus aisés, certes mieux lotis, se cramponnent à ce qu’ils peuvent, vivant parmi les lambeaux de leurs gloires et richesses passées. Le système capitaliste est en bout de course et ne fait plus illusion à l’heure où tant d’hommes sont impuissants et où les rares enfants qui naissent ne sont bien souvent pas en bonne santé. Ça sent la pénurie de main d’oeuvre à moyen terme, mais plutôt que d’essayer de construire un présent moins glauque, la politique « après moi le déluge » règne. Ça aussi c’est un peu le présent.
Vous l’aurez compris, c’est plutôt pas trop trop trop hyper joyeux, et le côté pessimiste de ce court roman m’a rappelé – de loin – par l’atmosphère froide, le monde dépourvu de toute aspiration et le personnage principal pas franchement sympathique, prêt à marcher sur les autres pour obtenir un peu plus qu’eux : Plop de Rafael Pinado.
Nicolas Cartelet utilise ce contexte pour nous parler de l’humanité. Des mensonges que l’on se fait à soi-même, des rébellions, des films que l’on se monte dans sa tête. Parce qu’Albert s’en fait, des films. Il refuse obstinément de se fondre dans la masse et se raconte des histoires à lui-même afin de croire à sa propre supériorité, passant de pseudo-rebelle à allié du pouvoir en idées. Il vit dans sa tête, dans un monde où il n’y a plus matière à rêver et où le moindre petit changement de routine est un événement. Et il est plutôt lâche, aussi. Il n’est jamais vraiment avec les autres, y compris avec sa propre épouse, et son égo se repaît de petits actes mesquins.
L’auteur nous parle également du délitement du couple et de la haine qui s’installe, quand c’est toujours le même qui fait les sacrifices. Quand l’autre estime que ça va de soi, parce que lui « ne pourrait pas ». Quand on ne s’écoute plus, qu’il n’y a plus d’attentions, de compréhension. Plus un « nous » avec ses projets, mais deux individus qui se supportent tant bien que mal, sans plus se soutenir.
Dernières fleurs avant la fin du monde est un livre court et percutant. Condensé. L’auteur va droit au but et nous fait entrevoir toute la misère du monde et les contradictions humaines grâce à quelques scènes, parfois quelques mots. C’est un livre qui fait beaucoup réfléchir, car finalement, on aurait fait quoi, nous, à sa place, dans un monde – on ne peut même pas dire une société – qui n’a ni valeurs, ni avenir, ni rien à quoi se raccrocher ? Quand plus rien ne compte ?
Nicolas Cartelet nous signe là un post-apo singulier et intimiste, qui ne met pas l’accent sur l’action mais sur l’humain, et pas dans ce qu’il a de plus reluisant. J’aurais cependant aimé en apprendre un peu plus sur le contexte mondial, le fonctionnement de l’économie pour les gens qui ne sont pas journaliers, la transition entre l’avant et l’après, et surtout savoir comment toutes ces personnes ne sont pas carencées à force de ne manger, jour après jour, année après année, que des patates.
Un dernier mot pour saluer le travail de la maison d’édition qui propose toujours des petites originalités dans la mise en page de ses publications !
Ma conclusion :
- Un livre percutant et pessimiste quant à notre avenir plutôt mal barré
- Un livre intimiste, qui parle avant tout de l’humain, son égoïsme, ses contradictions, ses lâchetés
- Un univers sur lequel j’aurais aimé en apprendre un peu plus
Dernières fleurs avant la fin du monde, Nicolas Cartelet, Mü Éditions, 174p., ISBN : 978-2-490239-02-3
Couverture par Jean-Emmanuel Aubert
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Un avis qui recoupe celui de l’ami canin. Je en sais pas si mon humeur est très dystopique. J’ai du pain sur la PALche, alors je vais en rester avec mon Palmer, Kay et Cie!
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