Plop ! C’est le bruit qu’il a fait en tombant dans la boue.
Plop. C’est le nom dont on l’affublera désormais au sein de la tribu.
Le Groupe qui l’accepte évolue dans un monde d’après: déchets, gravats, pluie incessante. Cette fin du monde a pour décor des immondices, pour habitants des humains en fuite permanente et soumis à une loi du plus fort exténuante.
Mais Plop est différent, il va plus loin que les autres, il se hisse, sort du trou.
Plop, de l’auteur argentin Rafael Pinedo, est un livre paru en 2011 aux éditions de l’Arbre Vengeur dans la collection Forêt invisible (qui nous fait découvrir des auteurs hispaniques, comme Ours de Diego Vecchio) et réédité cette année chez Folio SF.
De temps à autres, aventureuse, je laisse mon libraire me mettre entre les mains (ou plutôt dans mon panier) des œuvres dont je n’ai pas entendu parler et dont je ne lis pas la 4ème de couverture. J’aime être surprise, et puis il faut dire qu’il a des goûts assez pointus. Je sais qu’au pire, ce sera « juste » intéressant.
Plop fait partie de ceux-là. Et c’est un livre que j’ai choisi de chroniquer car, définitivement, il ne peut laisser personne indifférent.
Un monde post-apocalyptique extrêmement dur et cruel, une Terre recouverte de déchets, d’immondices, de piles de détritus, de métaux rouillés et de meutes de chats qui peuvent vous tuer en un éclair si vous vous hasardez dans les mauvais buissons seul, à la tombée de la nuit.
Une pluie qui tombe sans cesse, et c’est tant mieux car dès que l’eau touche le sol, elle a tendance à prendre des teintes fluorescentes la nuit. Plutôt mauvais signe si vous voulez mon avis ! D’ailleurs, l’espérance de vie est drastiquement réduite (quelques minutes tout au plus) pour quiconque se hasarderait à piquer une tête dans la rivière. Autant vous dire que les sports nautiques n’y font pas fureur.
Des Groupes d’humains survivent comme ils le peuvent, certains nomades, d’autres sédentaires, dans ce qui ressemble fort bien à l’enfer sur Terre, se nourrissant de viande (de chat… oui je sais… l’auteur est allé jusque là et a vraiment décidé de ne rien nous épargner), de champignons (adieu fleurs, fruits, légumes, régime équilibré, santé) et ayant adopté des habitudes de vie assez… spéciales.
On suit donc le groupe nomade de Plop, le personnage principal de ce court roman (171 pages), de la naissance à la mort de ce dernier. Mort fort sympathique qui nous est racontée dans le prologue, histoire de mettre le lecteur directement dans le bain : ici, pas d’espoir. Sachez-le, ce livre n’est pas pour les enfants ni les cœurs faibles. Du début à la fin, chaque chapitre offre au lecteur de nouvelles scènes d’horreur contées d’une manière très froide et détachée.
Car dans ce Groupe, où pourtant tous ont besoin des autres pour survivre, c’est du chacun pour soi. Si vous dérogez aux règles ou n’êtes plus utile, vous êtes tout simplement recyclé, après ou avant d’avoir été exécuté. Les femmes enceintes, si elles ont le malheur de l’être durant une « migration » du groupe, sont quasi littéralement traînées derrière les chariots et n’ont que peu de chance de survivre.
Les enfants mal-formés ou albinos sont directement tués, les autres ont de la chance si quelqu’un s’occupe d’eux et les aide à survivre jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour subvenir à leurs propres besoins. Quand ils sont suffisamment grands, on les attribue à une sorte de caste où ils passeront le reste de leur vie, qui peut être extrêmement courte si ils se retrouvent chez les Volontaires 2 par exemple, sortes d’esclaves que l’on sacrifie à tour de bras en les envoyant effectuer les tâches les plus ingrates et dangereuses, et que l’on peut violer quand bon nous semble.
Ah oui, dans le Groupe, tout le monde couche avec tout le monde, avec un minimum de consentement, et souvent pas vraiment. Et malheur à ceux qui auraient des rapports sexuels avec les membres d’un autre Groupe, le risque éventuel de transmettre des maladies vénériennes les condamne à mort.
Plop est quand à lui un sacré enfoiré, sans doute un sociopathe, et ce qui est intéressant dans ce roman, c’est de nous présenter un personnage principal qui aurait pu, peut-être, à certains moments, un peu mieux tourner, mais non. C’est une brute, pas une brute épaisse, pire, une brute fourbe, suffisamment intelligent pour parvenir à grimper les échelons en sacrifiant sans vergogne des personnes lui faisant confiance et en mettant en jeu sa propre intégrité physique, se rabaissant jusqu’à l’insupportable, mais pas assez pour être capable de réellement comprendre les motivations de ses concitoyens et ainsi de garder le pouvoir. Si sous-titre il devait y avoir, ça pourrait être « Plop, l’ascension et la chute d’un sacré enfoiré ».
Pourtant, pris en charge à sa naissance par la vieille Goro, la personne la plus intelligente de ce livre (bien que les années de privation et d’horreur l’aient rendue extrêmement dure à la tâche) et ayant passé le plus clair de son enfance et adolescence en compagnie de deux amis fidèles et bien plus empathiques que lui, il avait les clefs en main si j’ose dire, et l’entourage nécessaire pour se poser quelques questions quant au mode de vie du Groupe. Mais non, il plonge à corps perdu dans la cruauté de ce monde, sans la remettre en cause.
Si ce point de vue est donc très intéressant à suivre, il y a néanmoins quelques aspects du roman qui m’ont dérangée, sur le versant « crédible » de l’univers. Tout d’abord, à part les cancers et les maladies vénériennes, il n’est fait mention d’aucun type d’épidémie, de bactéries ou maladies autres. Visiblement, le manque d’hygiène du Groupe (on laisse les bébés dans leur merde et leur pisse, qui peut couler sur les adultes qui les portent d’ailleurs, miam miam) ne pose pas de problème spécifique de santé. Soit.
D’autre part, la vie est tellement difficile qu’à mon sens une certaine entraide est nécessaire, et je trouverais logique que l’on préserve le peu d’enfants qui naissent sans malformation. Eh oui, car la jeunesse est quand même une richesse dans un monde aussi dur et si l’on vieillit, on peut avoir besoin de plus jeune que soi sur qui compter en cas d’attaque par exemple. Mais là non, le Groupe semble ne jamais connaître de vrais soucis d’ordre démographique, malgré le peu de naissances viables et le peu de cas qui est fait des femmes enceintes, des femmes qui ont mis au monde des enfants viables et de ces derniers.
De même, si les personnes plus âgées semblent avoir droit au privilège de prendre de la drogue avant tout le monde lors des gros événements festifs, il semble bien que ce soit la seule marque de respect qui leur soit accordée et la « sagesse » de ces personnes qui ont survécu jusqu’à leurs vieux jours dans un monde franchement très hostile n’est ni valorisée ni spécialement transmise. Alors que bon, quand même, ils ont survécu. Il semble cependant y avoir une transmission des savoirs à l’oeuvre dans certains cercles de proches, mais on ne la voit pas vraiment en acte et, à l’échelle de l’organisation de la société, il n’y a rien de prévu. Donc ben, la personne qui sait différencier les champignons vénéneux de ceux qui sont comestibles garde ce savoir pour elle par exemple, ou éventuellement le transmet à une personne dont elle se sent responsable, mais pas aux autres.
Ce modèle de société me semble par conséquent assez suicidaire et une partie de la cruauté de ce roman exagérée. Entendons nous bien, le côté « cru » du livre ne m’a absolument pas dérangée en tant que tel, j’y suis peu sensible du fait de la distance avec laquelle le tout est exprimé (j’avoue que vivre les atrocités contées en étant en empathie aurait été insoutenable). C’est simplement que d’un point de vue logique, certains éléments me semblent être peu crédibles et j’y vois une forme de violence totalement gratuite, présente pour choquer et pour démontrer à quel point ce monde est horrible. Mais moi, j’ai besoin d’un « pourquoi », même si il tient en deux mots, même si il est extrapolé à travers des éléments disparates. Et là, sur le traitement précis des femmes enceintes, des femmes en âge de procréer, des personnes âgées et du manque absolu d’hygiène n’entraînant aucune conséquence, je n’en ai pas trouvé.
En résumé :
- Un monde post-apocalyptique d’une cruauté parfois peu crédible
- Un personnage principal dont l’évolution est intéressante à suivre
- Un court roman qui ne peut que questionner et faire réagir
Plop, Rafael Pinedo, traduction par Denis Amutio, Éditions de l’Arbre Vengeur, 171p., 12€, ISBN : 9-782916-1416-88
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